C'est une histoire du temps passé, si ancienne désormais, que j'éprouve les plus grandes difficultés à me souvenir de cette époque lointaine. Il me semble que c'était il y a des siècles, lorsque les tout-puissants Mages dominaient encore le grand continent d'Oriar. Ces magiciens disposaient alors d'immenses pouvoirs qui les rendaient seuls capables d'absorber la poussière d’Aether, une source d'énergie brute prélevée à travers le Voile, la barrière ésotérique qui sépare les mondes.
Grâce à cette ressource inépuisable, ils étaient en mesure de lancer de redoutables sortilèges, d’invoquer les forces élémentaires mais surtout de prolonger considérablement leur durée d’existence. Pour tirer parti de l’énergie de la poussière d’Aether, les Mages utilisaient ce qu’ils nommaient l'émotion directrice, un sentiment fort et viscéral qu’ils exacerbaient à l’extrême pour finalement parvenir à maîtriser leurs pouvoirs magiques.
Les plus érudits d’entre eux découvrirent assez tôt que la mutation qui leur permettait de percevoir l’Aether et de l’attirer à travers le Voile était héréditaire. Rapidement, ceux-ci fondèrent une civilisation eugénique basée sur le système des Maisons. Ainsi les membres les plus influents veillaient-ils jalousement sur la pureté de leur sang, n’hésitant pas à marier entre eux les enfants d’une même lignée.
En ces temps reculés, les Mages parvinrent à modeler les terres d'Oriar selon leur propre volonté. Ils fondèrent ainsi l’imposante cité insulaire d’Antalion. Certains racontent que le pouvoir des Antalians était tel qu’ils n’avaient pas besoin de bâtisseurs ou de serviteurs. Des centaines d'élémentalistes capables d’en appeler aux forces de la nature érigèrent, en quelques jours seulement, d’immenses remparts autour d’Antalion. Dans le même temps, d'autres invocateurs entourèrent la majestueuse cité de la Mer des Brumes, vaste étendue maritime parcourue de tempêtes incessantes et de vagues déchainées. Désireux de s'accaparer les terres nordiques au climat plus favorable, ils repoussèrent bientôt les Communs, humains nés sans aucun pouvoir, toujours plus loin vers le Sud.
Lors de cette période obscure et terrifiante, les Mages se montrèrent impitoyables envers les Communs qu’ils méprisaient au plus haut point. Ils les chassaient parfois pour le simple plaisir, se livrant à d'horribles exactions pour satisfaire leurs plus bas instincts en poussant toujours plus loin l’exploration de leurs émotions directrices.
Les Communs fuirent le courroux de ces ennemis cruels, migrant par milliers en direction du Sud, le plus loin possible d’Antalion. S'ils parvinrent toutefois à établir de petits villages, cachés au cœur de terres inhospitalières, ils vivaient toujours dans la peur. Si un Mage parvenait à découvrir une communauté, il s’empressait d'y jouir de sa supériorité et de l'éradiquer.
L’instance dirigeante d’Antalion, le Conseil de l’Harmonie, craignait par-dessus tout que ne se forment de trop grandes concentrations de Communs unis par la crainte et la haine des Mages. Ses membres encourageaient ce type de comportement, allant jusqu’à récompenser les individus les plus meurtriers par des alliances maritales avec des membres des Maisons les plus prestigieuses ou des postes importants au sein de l’administration de la cité.
A l'abri sur leur île sanctuaire, dans leurs immenses palais fantasmagoriques, les Mages se livraient à des jeux de pouvoirs mesquins, manipulant leurs semblables pour atteindre de plus hautes fonctions et favoriser la destinée de leur propre Maison. Beaucoup se jetèrent à corps perdus dans les études mystiques, découvrant sans cesse de nouvelles façons d’user de leurs pouvoirs, créant des sorts toujours plus destructeurs.
Au fil des siècles, les Mages relâchèrent peu à peu leur vigilance sur les terres environnantes. Bien que certaines Maisons prenaient toujours plaisir à organiser de grandes traques aux Communs en dehors des murs d’Antalion, la plupart s’empêtrèrent dans des luttes intestines et des problèmes de succession.
Pendant que la majorité des Antalians intriguait ou sombrait dans l’oisiveté, certains cherchaient en secret à accomplir le Grand Œuvre. Ces dissidents mirent au point un rituel d’une puissance inimaginable qui leur permettrait de dominer le temps lui-même. Désireux d’échapper aux ravages d’une force immuable qu’ils ne pouvaient contraindre, les membres de cette cabale avaient pour ambition de piéger le cours du temps dans une boucle infinie. Ils comptaient ainsi accéder à la vie éternelle.
Les Voyageurs, comme ils se nommaient entre eux, étaient conscients qu’un rituel aussi complexe pourrait avoir des conséquences catastrophiques s’il venait à échouer. Ils quittèrent donc Antalion en secret pour se rendre dans les Terres Sauvages du Sud où le Voile était le plus fin. Redoutant les inévitables conséquences, ils comptaient profiter de l’afflux de poussière aethérique pour amplifier leurs capacités, pressentant que le Grand Œuvre risquait de fortement endommager la barrière entre les Mondes.
En vérité, certains avaient des doutes sur leurs facultés à accomplir une œuvre d’une telle ampleur. Ne se jugeant pas assez préparés, ils voulurent retarder l’incantation du rituel mais ne furent pas entendus. Dans leur majorité, les Voyageurs laissèrent parler leur ambition et leur orgueil démesurés. Convaincus de leur immense capacité, ils mirent un terme à leurs préparatifs.
Tandis qu'ils voyaient leur jeunesse les quitter, ils se décidèrent à tenter le tout pour le tout.
C'est au sommet d’un vaste plateau rocheux qu’ils entamèrent le rituel. Trop empressés, aveuglés par leur arrogance et insuffisamment préparés, ils ne purent contenir les formidables vagues d’énergie libérées par l’afflux incontrôlé de poussière aethérique.
Incapables de maîtriser une telle source de puissance brute, ils en perdirent le contrôle.
On raconte qu'une terrible explosion fracassa le Voile, balayant les Voyageurs. L’onde de choc qui en résultat donna naissance à la Faille, une fissure béante et titanesque dans la voûte céleste. Croyez-moi, chers lecteurs, cet évènement allait changer notre monde à tout jamais...
Extrait des Contes de la Faille, Volume I ; 1158