Je pense que c'est lorsque survint le cataclysme qui donna naissance à la Faille, que l’énorme quantité de poussière d’Aether libérée pendant le rituel, s’agrégea sous la forme d’un monolithe cristallin décrit dans les archives comme un bloc solide irisé de grande envergure flottant quelques pieds au-dessus du sol. La lointaine Antalion était restée aveugle au projet des Voyageurs et ce sont tout naturellement les Communs qui découvrirent les premiers le site du Grand Œuvre. Selon mes sources, les humains de jadis comprirent très vite le pouvoir inouï que ce cristal renfermait.
Bien des années passèrent jusqu'à ce que le Régent, dirigeant du Conseil de l’Harmonie et détenteur de la plus haute autorité de la cité d'Antalion fut mystérieusement assassiné. Tandis que planait la menace d’une guerre civile potentiellement dévastatrice, chaque Maison œuvrait d'autant plus pour s’assurer les rênes du pouvoir. Alors que la situation était déjà critique, le Conseil prit la décision de sceller les portes de la ville pour éviter que les coupables ne s’échappent. Je sus immédiatement que cette mesure, l’Edit d’Isolement, allait avoir de funestes conséquences.
Loin de ces tumultes, les Communs apprenaient à leur tour à tirer parti de l'énergie contenue dans le cristal d’Aether. Leur science se développait lentement mais ils compensaient leur absence de pouvoir par une curiosité et une ingéniosité sans limite. Auparavant habitués à vivre tels des nomades craignant toujours d’être attaqués par des Mages en maraude, les humains commencèrent à apprécier la sécurité d’une vie sédentaire.
C'est juste sous la Faille, sur le lieu du cataclysme, que les Communs établirent leur première cité autour du cristal. Ils se servirent de l’Aether, cette nouvelle ressource en apparence inépuisable, pour bâtir des murs solides, se chauffer et alimenter en énergie des mécanismes simples. Ils apprirent à travailler le fer, le cuivre et le laiton, profitant de l’abondance des terres environnantes, riches en métaux. Ainsi, ils découvrirent la vapeur, le charbon et bientôt les premiers moteurs firent leur apparition. En à peine un siècle, ces humains industrieux fondèrent une civilisation ingénieuse et besogneuse. Un âge d'or, durant lequel ils bâtirent les fondations de leurs futures citadelles alimentées par l’énergie des fragments d’Aether prélevés sur le cristal.
Cependant, jamais ce peuple n'oublia les souffrances infligées à leurs ancêtres. Ces hommes et ces femmes gardaient une rancune tenace à l’égard des Mages d’Antalion. Les générations se succédaient et les histoires terribles des jours anciens se perpétuaient, comme un sinistre chant venu d'une époque où ils étaient traqués comme des bêtes par des êtres cruels aux pouvoirs surnaturels capables de faire tomber la foudre ou d’embraser le ciel.
Ils ne firent pas l’erreur de croire la menace d'Antalion disparue. Selon moi, et bien qu'aucun humain n’ait vu de Mage depuis plus d’un siècle, ils refusèrent d’abandonner l’idée de combattre un jour les responsables de leurs tourments passés et fourbirent leurs armes. Ils consacrèrent autant d’énergie et de temps à façonner des outils pour se défendre qu’à développer les autres aspects de leur civilisation naissante. La technologie de la propulsion à vapeur et la création du moteur à piston alimenté par des fragments d’Aether bruts, leur fournirent des armes efficaces, capables de donner la mort à distance et de rivaliser, du moins l’espéraient-ils, avec les pouvoirs des Mages.
A ma connaissance, c’est à cette époque qu’un groupe de mages rebelles exilés de leur cité suite à une infructueuse tentative de coup d’état, découvrit celle des Communs. Ils avaient entrepris ce long périple à travers les Terres Sauvages, sans doute attirés par une concentration Aethérique anormalement élevée.
Quelle ne fût pas leur surprise lorsqu'ils découvrirent l'étendue de cette cité ! Euphorique à l’idée de donner libre cours à sa frustration, le groupe passa à l'attaque sans ménagement. Sous la lueur bleutée de la Faille, ils ne prêtèrent aucune attention aux étranges engins mécaniques qui les entouraient, pas plus qu’ils ne daignèrent élaborer une offensive coordonnée, suprêmement confiants en leurs capacités martiales. Car après tout, chaque enfant d’Antalion est convaincu, dès son plus jeune âge, que les Communs appartiennent à une race déviante et inférieure qui ne mérite d’autre sort que la mort…
Pouvez-vous imaginer l'immense stupéfaction de ces Mages lorsque, non contents de refuser de s’enfuir, les Communs eurent même l’outrecuidance de riposter ? Quel effarement se lut sur leurs visages quand ces humains si méprisables, engoncés dans des armures de fer sifflantes et cabossées, prirent place sur de vétustes échafaudages et pointèrent dans leur direction de curieux bâtons métalliques !
Le meneur du groupe des Mages s’avança alors en s'esclaffant. A chacun de ses pas, il puisait copieusement dans la concentration d’Aether environnante, l’énergie nécessaire au lancement d’un sortilège. Alors qu’il hésitait encore sur la nature du châtiment qu'il comptait infliger à ces sots qui refusaient de détaler devant lui, l’impensable se produisit. Il y eut d’abord un petit chuintement. S’en suivit un éclat bleuté et le corps du puissant Mage s’effondra lourdement, traversé de part en part par une bille de fer fumante.
Même si ma mémoire me fait quelque fois défaut à l'heure où j'écris ces mots, je reste persuadé que c'est ainsi que périt la première victime d’un conflit meurtrier qui allait bientôt précipiter le déclin d’une ancienne civilisation et célébrer l’ascension d’une autre.
Extrait des Contes de la Faille, Volume I ; 1158